Ecrit par : Franck Petit - Photos :
Vincent Isore / IP3
Publié le 2 avril 2013
Publié le 2 avril 2013
Les délégués de Microsoft France ont attaqué leur
système d’évaluation en justice, d’abord pour entrave à l’action syndicale –
audience le 25 mars à Nanterre – puis sur le fond, pour un procès qui
pourrait se tenir en 2013. Depuis, la direction semble prendre les
représentants du personnel plus au sérieux.
L’omnipotente « corporation », maison mère du géant
américain de l’informatique, n’avait pas nécessairement l’habitude de consulter
les représentants de ses 1 500 « microsoftees » employés en France.
Mais la donne a quelque peu changé pour Microsoft France depuis que le CHSCT a fait expertiser puis a poursuivi
en justice son système d’évaluation, directement inspiré des méthodes de Jack
Welch, l’auteur de Winning (« Gagner »).
« L’avantage chez Microsoft, c’est que tout est évident : le système d’évaluation veut qu’environ 10 % des employés partent chaque année, via un régime de notations
individuelles comparées, explique Pascal Vaché, secrétaire du CHSCT France
(lire entretien ci-contre). Dans ce système, il faut qu’un nombre à peu près
constant de salariés soient renvoyés. Ainsi en France nous avons fait les
comptes : 35 licenciements
en 2012 (plus 43 démissions), 34 licenciements en 2011 (et 76 démissions), 31 licenciements en 2010 (pour 66 démissions)… Les chiffres
parlent d’eux-mêmes ! »
Derniers de la classe
C’est la méthode dite du « ranking forcé », c’est-à-dire classement forcé. Des réunions « de calibration », au cours desquelles les managers comparent les
employés, les classent
suivant une courbe de « répartition ». Dans le courant de l’année suivante, les
10 % derniers de la classe sont invités à payer leur pot de départ. Le hic,
c’est qu’en France, tant la comparaison relative entre les salariés que les
quotas forcés sont illicites ; et que la loi impose une concertation des CE et
CHSCT préalable à la mise en place de systèmes d’évaluation. Trois manquements à la loi pointés par l’expertise commandée par
le CHSCT en 2011, qui a déclenché deux plaintes, déposées en commun avec le CE.
L’une au pénal contre la DRH pour délit d’entrave. L’autre au civil pour
contester le système sur le fond.
« J’avais orienté en amont l’expertise vers les aspects
légaux, en concertation avec les délégués et avec un avocat, précise Christophe
Genthial, expert au cabinet Secafi. Nous avons du coup fait poser quelques
questions à la DRH, qui a répondu qu’effectivement ils classaient les gens. Du
coup, les délégués ont pu constituer deux ou trois preuves par e-mail, dont ils
se sont servis. » Le système a été officiellement corrigé début 2012, après le dépôt des plaintes.
Améliorations cosmétiques, selon Ahmed Irkakene, membre CGT du comité
d’entreprise : « Ils ont juste changé les termes. La direction dit qu’elle a entendu notre revendication, elle a changé le mot calibration par harmonisation. Mais au final
le résultat est
exactement le même : on compare
les gens entre eux. Ce qui les intéresse, c’est d’être dans le cadre légal,
point à la ligne. »
Feedback haïssable
La marge de manœuvre reste faible dans ce groupe aux
méthodes de gestion mondialisées. Mais Microsoft étant très soucieux de son
image, l’action judiciaire a fait bouger les lignes. Pour le secrétaire du
CHSCT, « l’action en
justice [que la direction tente actuellement de faire interrompre par la négociation, NDLR], qu’on la gagne ou qu’on la perde, c’est un symbole. La victoire, nous l’avons déjà emportée. »
En sus de la disparition officielle du ranking forcé,
un autre maillon du système d’évaluation a été réformé : le « feedback ». « C’était malhonnête, commente Christophe Genthial. Chacun devait suggérer à son manager des personnes susceptibles de commenter son travail. Mais le
manager pouvait supprimer certains noms suggérés et en ajouter d’autres, sans
en informer l’employé. Ensuite, les consignes étaient floues sur l’usage qui en
était fait. Déontologiquement c’était choquant, et cela posait un problème
vis-à-vis de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui
impose un accès aux données personnelles. » L’argument
juridique a porté. Le feedback a
été maintenu, mais avec plus de transparence.
La qualité du dialogue semble aussi avoir évolué.
Depuis un an, la DRH France respecte plus, d’après les élus, les apparences de
la consultation avant d’appliquer les directives émises outre-Atlantique. Pour
certains, la modification d’un plan de licenciement en plan de reclassement
pour la division publicité à l’automne en serait la preuve. « Ils nous ont
dit que nous les avions éclairés sur un certain nombre de points qui les ont fait
changer d’avis, précise Ahmed Irkakene. Mais je pense que ce qui les a
fait changer d’avis, c’est surtout le fait que le plan social gelait tous les
postes… Après, oui, effectivement, les reclassements se passent plutôt bien. »
Cyclisme et dopage
Autre réaction de la corporation : elle a créé en 2012 un poste de conseiller juridique monde, chargé d’adapter ses décisions aux spécificités des pays. « C’est un peu l’histoire du
cyclisme et du dopage, tempère l’avocat des
salariés, Christian Saïd. C’est aussi par nos luttes que l’on a imposé l’évaluation. On a créé
l’obligation de faire évoluer le salarié. Et pour cela, les employeurs ont
plaidé qu’il fallait pouvoir évaluer. On y est. Et maintenant que l’on a obtenu
quelques victoires claires – sur la consultation des IRP et les quotas forcés –
les nouveaux systèmes d’évaluation risquent de devenir plus cachés, ou plus
perfectionnés. »
« On ne peut pas se passer de système d’évaluation
et il ne peut pas y avoir de système
parfait, estime de son côté Christophe Genthial. La solution, c’est de
négocier pour mettre en place un système le meilleur possible, en s’appuyant
sur des contraintes de métier, sur ce qui se passe réellement dans le travail.
Et pour cela, pour savoir comment faire, il suffit de poser la question au
salarié, à celui qui connaît son métier. »