dimanche 7 avril 2013

Management : Microsoft évalué en justice ?

source: http://www.nvo.fr/article.php?IDchapitre=1564&nbr=0&IDssrubrique=38&rec=microsoft

Ecrit par : Franck Petit - Photos : Vincent Isore / IP3
Publié le 2 avril 2013


Les délégués de Microsoft France ont attaqué leur système d’évaluation en justice, d’abord pour entrave à l’action syndicale – audience le 25 mars à Nanterre – puis sur le fond, pour un procès qui pourrait se tenir en 2013. Depuis, la direction semble prendre les représentants du personnel plus au sérieux.


L’omnipotente «corporation», maison mère du géant américain de l’informatique, n’avait pas nécessairement l’habitude de consulter les représentants de ses 1500 «microsoftees» employés en France. Mais la donne a quelque peu changé pour Microsoft France depuis que le CHSCT a fait expertiser puis a poursuivi en justice son système d’évaluation, directement inspiré des méthodes de Jack Welch, l’auteur de Winning («Gagner»).

«Lavantage chez Microsoft, cest que tout est évident: le système d’évaluation veut quenviron 10% des employés partent chaque année, via un régime de notations individuelles comparées, explique Pascal Vaché, secrétaire du CHSCT France (lire entretien ci-contre). Dans ce système, il faut qu’un nombre à peu près constant de salariés soient renvoyés. Ainsi en France nous avons fait les comptes: 35 licenciements en 2012 (plus 43 démissions), 34 licenciements en 2011 (et 76 démissions), 31 licenciements en 2010 (pour 66 démissions) Les chiffres parlent deux-mêmes!»

Derniers de la classe

C’est la méthode dite du «ranking forcé», cest-à-dire classement forcé. Des réunions «de calibration», au cours desquelles les managers comparent les employés, les classent suivant une courbe de «répartition». Dans le courant de lannée suivante, les 10% derniers de la classe sont invités à payer leur pot de départ. Le hic, c’est qu’en France, tant la comparaison relative entre les salariés que les quotas forcés sont illicites; et que la loi impose une concertation des CE et CHSCT préalable à la mise en place de systèmes d’évaluation. Trois manquements à la loi pointés par l’expertise commandée par le CHSCT en 2011, qui a déclenché deux plaintes, déposées en commun avec le CE. L’une au pénal contre la DRH pour délit d’entrave. L’autre au civil pour contester le système sur le fond.

«J’avais orienté en amont l’expertise vers les aspects légaux, en concertation avec les délégués et avec un avocat, précise Christophe Genthial, expert au cabinet Secafi. Nous avons du coup fait poser quelques questions à la DRH, qui a répondu qu’effectivement ils classaient les gens. Du coup, les délégués ont pu constituer deux ou trois preuves par e-mail, dont ils se sont servis.» Le système a été officiellement corrigé début 2012, après le dépôt des plaintes. Améliorations cosmétiques, selon Ahmed Irkakene, membre CGT du comité d’entreprise: «Ils ont juste changé les termes. La direction dit quelle a entendu notre revendication, elle a changé le mot calibration par harmonisation. Mais au final le résultat est exactement le même: on compare les gens entre eux. Ce qui les intéresse, c’est d’être dans le cadre légal, point à la ligne.»

Feedback haïssable

La marge de manœuvre reste faible dans ce groupe aux méthodes de gestion mondialisées. Mais Microsoft étant très soucieux de son image, l’action judiciaire a fait bouger les lignes. Pour le secrétaire du CHSCT, «laction en justice [que la direction tente actuellement de faire interrompre par la négociation, NDLR], quon la gagne ou quon la perde, cest un symbole. La victoire, nous lavons déjà emportée.»

En sus de la disparition officielle du ranking forcé, un autre maillon du système d’évaluation a été réformé: le «feedback». «C’était malhonnête, commente Christophe Genthial. Chacun devait suggérer à son manager des personnes susceptibles de commenter son travail. Mais le manager pouvait supprimer certains noms suggérés et en ajouter d’autres, sans en informer l’employé. Ensuite, les consignes étaient floues sur l’usage qui en était fait. Déonto­logiquement c’était choquant, et cela posait un problème vis-à-vis de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui impose un accès aux données personnelles.» Largument juridique a porté. Le feedback a été maintenu, mais avec plus de transparence.

La qualité du dialogue semble aussi avoir évolué. Depuis un an, la DRH France respecte plus, d’après les élus, les apparences de la consultation avant d’appliquer les directives émises outre-­Atlantique. Pour certains, la modification d’un plan de licenciement en plan de reclassement pour la division publicité à l’automne en serait la preuve. «Ils nous ont dit que nous les ­avions éclairés sur un certain nombre de points qui les ont fait changer davis, précise Ahmed Irkakene. Mais je pense que ce qui les a fait changer davis, cest surtout le fait que le plan social gelait tous les postes… Après, oui, effectivement, les reclassements se passent plutôt bien.»

Cyclisme et dopage

Autre réaction de la corporation: elle a créé en 2012 un poste de conseiller juridique monde, chargé dadapter ses décisions aux spécificités des pays. «Cest un peu lhistoire du cyclisme et du dopage, tempère lavocat des salariés, Christian Saïd. Cest aussi par nos luttes que l’on a imposé l’évaluation. On a créé l’obligation de faire évoluer le salarié. Et pour cela, les employeurs ont plaidé qu’il fallait pouvoir évaluer. On y est. Et maintenant que l’on a obtenu quelques victoires claires – sur la consultation des IRP et les quotas forcés – les nouveaux systèmes d’évaluation risquent de devenir plus cachés, ou plus perfectionnés.»
«On ne peut pas se passer de système d’évaluation et il ne peut pas y avoir de système parfait, estime de son côté Christophe Genthial. La solution, c’est de négocier pour mettre en place un système le meilleur possible, en s’appuyant sur des contraintes de métier, sur ce qui se passe réellement dans le travail. Et pour cela, pour savoir comment faire, il suffit de poser la question au salarié, à celui qui connaît son métier.»